mercredi 7 mai 2014

Homère, L'Odyssée

Fiche d'œuvre
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L’Odyssée
Homère


  • Epoque :
- Vie de Homère : au IXème ou VIIIème siècle av. J.-C. ?
- Attribution du texe à Homère (avec l’Iliade) : VIème siècle.
- Fixation du texte : VIème siècle
- Division en chants : époque alexandrine


  • Genre : l’Επος
- De ειπειν (inf. aoriste) = « dire », latin vox, « voix, ton, parole ».

Sa finalité culturelle : la construction et la représentation narrativisée des valeurs fondatrices d’une société, en particulier ce que les Modernes appellent sa « mythologie ».

Sa forme prosodique : L’hexamètre dactylique :
- Schéma de scansion général : – uu / – uu / – uu / – uu / – uu / – u

- Un vers = 6 pieds (ou mesures) de deux brèves (ou temps) chacun.

- Types de pieds :
  • un dactyle = – uu
  • un spondée = – – (rarement en pied 5)

- Comment déterminer la valeur d’une syllabe :
  • Brève = v.(voyelle) + 1 cs.(consonne)/pct°(ponctation) : l’υ dans : νυν ανηρ
  • Longue = v.+ 2 cs. : νυν δε

- Une voyelle finale tombe (= n’est pas prononcée et on n’en prend pas compte pour la scansion)
si le mot suivant commence par une voyelle (pour éviter un hiatus).

- Types de césures (coupes notées //), le plus souvent à l’intérieur d’un pied :
  • trochaïque : au troisième pied, qd il est dactylique, après la 1ère brève :
    uu / – uu / – u // u / – uu / – uu / – u
  • penthémimère : après le cinquième demi-pied :
    uu / – uu / – // uu / – uu / – uu / – u
  • hephtémimère : après le septième demi-pied :
    uu / – uu / – uu / – // uu / – uu / – u
  • bucolique : avant les deux derniers pieds (assez peu courante chez Homère) :
    uu / – uu / – uu / – uu // – uu / – u
  • coupe dans le premier pied (peu habituel) :
    u // u / – uu / – uu / – uu / – uu / – u

- Système mélodique : modulations tonales (écart de quinte, environ) qu’essaient de reconstituer Philippe Brunet et Stephen Daitz, entre autres.

- Figures poétiques à noter :
  • polyptote : répétition de termes fondés sur la même racine :
    ex. : πολυτροπον et πολλων (v.1 et 3 de L’Odyssée)

La langue homérique :
- Une production improvisée, tirée de formules traditionnelles, des vers dits formulaires. (Voir Milman Parry, L’épithète traditionnelle chez Homère, 1928)
- Une langue déjà archaïque au VIIIe siècle av. J.-C. et davantage encore au moment de la fixation du texte, au VIe siècle av. J.-C.
- Vers formulaires, comparaisons, composition annulaire (dont chiasme), scènes typiques


  • Contexte littéraire et postérité :
- Livres :
  • Apollonios de Rhodes (IIe siècle avant J.-C.), Les Argonautiques → Jason et la toison d’or
  • Virgile (fin du Ier siècle avant J.-C.), L’Enéide → L’histoire d’Enée, survivant troyen
  • Dante (début du XIVe siècle), La Divine Comédie → Nekuia étendue
  • Fénelon, Les aventures de Télémaque (1699) → Réécriture de T. à la recherche de son père
  • Goethe, Nausikaa (1787) – Pré-romantisme → Sujet éponyme
  • Jean Giono, Naissance de l’Odyssée (1921)
  • James Joyce, Ulysses (1922)
  • Aragon, Les aventures de Télémaque (1922)
Les épopées médiévales et modernes sont soit plutôt autonomes par rapport à la tradition antique, soit plus influencées par L’Illiade, à la composition plus linéaire et aux motifs plus traditionnellement guerriers, ainsi :
  • Jean Giraudoux, La Guerre de Troie n’aura pas lieu (1935)

- Arts plastiques :
  • Arnold Böcklin, Ulysse et Calypso (1883)
  • Peter Paul Rubens, Ulysse et Nausicaa (1619)
  • Turner, Ulysse et Polyphème (1848)
  • Picasso, Ulysse et les sirènes (1946)
  • Chagall, série de lithographies pour L’Odyssée (1974)

- Arts du spectacle :
  • Opéra baroque : Claudio Monterverdi, Il ritorno d’Ulisse in patria (1641) → νόστος
  • Danse contemporaine : J.-C. Gallotta, Ulysse (1981)
  • Péplum : Mario Camerini, Ulisse (1954)
  • Cinéma d’auteur : Joel&Ethan Cohen, O Brother, Where Are Thou ? (2000)

  • Éléments biographiques :
Homère :
- étymologie : signifie « otage » ou « celui qui est obligé de suivre »
- est réputé avoir été un aède1 aveugle de la fin du VIIIème siècle av. J.-C.

Autres oeuvres du même auteur : On attribue également à Homère :
- deux poèmes comiques: Batrachomyomachie (« bataille des grenouilles et des rats ») et Margitès - les poèmes des Hymnes homériques.


  • Personnages principaux :
- Ulysse
- Athéna
- Télémaque
- Pénélope
- les autres dieux

Athéna Pénélope Télémaque Ulysse les prétendants Poséidon Calypsô
Hermès Nausicaa les compagnons le Cyclope Circé
Zeus … les Phéaciens Eumée … les Sirènes
etc.


  • Indications narratologiques / Structure et intrigues :

I Visite d’Athéna à Télémaque (T.)
II Débats à Ithaque
III T. chez Nestor
IV T. chez Ménélas et Hélène
V Ulysse (U.) chez Calypso
VI U. échoue chez les Phéaciens – Rencontre Nausicaa.
VII Le palais d’Alcinoos
VIII Les jeux Phéaciens
IX Lotophages et Cyclopes
X Escale chez Eole – les Lestrygons – Circé
XI La Nekuia (visite à Hadès)
XII Circé (2) – Les sirènes – Pierres Planktes – Scylla et Charybde – L’île du soleil
XIII U. à Ithaque
XIV Chez Eumée
XV Retour de T.
XVI U. rencontre T.
XVII U. en ville et mendiant au festin
XVIII U. mendiant (lutte)
XIX U. reconnu par Euryclée
XX Préparatifs au massacre
XXI Epreuve de l’arc
XXII Massacre des prétendants
XXIII Retrouvailles avec Pénélope
XXIV Paix retrouvée

- Légende :
Vert = Télémaque héros
Rouge = Ulysse héros ds un récit hétérodiégétique
Bordeaux = Ulysse héros ds un récit homodiégétique


Cicones puis tempête Prétendants
Lotophages Phéaciens
Cyclopes Calypso
Eole (2x) Ile du Soleil
Lestrygons Charybde et Scylla
Circé Circé(2e) + Sirènes
Nekuia

Le temps : Jusqu’à Circé : 11 semaines ; chez Circé : 1 hivernage ; le reste jusqu’à Calypso : 12 jours puis 1 mois ; chez Calypso : 7 ans.


  • Sens et portée de l'œuvre :
- Evoque la précarité et le succès final des valeurs d’une culture (ruse (μητις), intelligence, hospitalité, piété, héroïsme guerrier dans une moindre mesure, amour de la vie et de la paix, réflexion, mesure (σωφρωσύνε), résistance...) et remplit donc bien le genre de l’επος.
- Erige Ulysse en héros de ces valeurs à travers un parcours quasi-initiatique.


  • Citations :


  • Thèmes principaux et motifs :
- Retour : νόστος le thème principal.

- Ruse : μήτις, intelligence. U. en est l’incarnation par excellence.

- Hospitalité : Vertu suprême représentant de la civilisation à l’inverse de l’état de nature. Voir le schéma typique. Voir ces instances de réception :
  • Athéna par T.
  • les prétendants par T. (=> mauvais convives)
  • T. par Nestor
  • T. par Ménélas
  • U. par Phéaciens
  • U. par lotophages (=> mauvais hôtes)
  • U. par cyclopes (=> mauvais hôte)
  • U. par Eole—première et deuxième fois
  • U. par lestrygons (=> mauvais hôtes)
  • U. et ses compagnons par Circé—en deux temps
  • U. par Circé (2e fois)
  • U. par Charybde et Scylla (?) (=> mauvais hôtes)
  • les compagnons d’U. sur l’île du soleil (=> mauvais convives => donc la pire faute)
  • U. par Calypso
  • U. par Phéaciens
  • U. mendiant par Eumée
  • U. mendiant par prétendants
  • U. mendiant par Pénélope


Scène typique d’hospitalité
  1. Arrivée du / des visiteur(s) :
  • jeune fille à la fontaine / jeune homme au bord du chemin
  • arrivée sur les lieux
  • descriptions : résidence du maître de maison, activités de la personne recherchée et de son entourage (sacrifice, jeux, festin …)
  1. Accueil :
  • le maître de maison voit le(s) visiteur(s), hésite, se lève de son siège
  • il s’approche, touche les cheveux du / d’un visiteur, lui prend la main
  • il lui souhaite la bienvenue, prend sa lance, le fait entrer
  1. Première série de rites :
  • les xeinoi s’assoient
  • le festin, précédé d’un sacrifice sanglant, est préparé, consommé, puis conclu
  • on boit du vin mélangé, en digestif, accompagné de libations
  • le maître de maison demande son identité, son origine, les buts de son voyage à l’hôte qui répond, avec précision et véracité.
  • on s’adonne à diverses distractions, musiques, danses jeux, récits d’aèdes
  • le visiteur remercie, bénit son hôte, et participe à un sacrifice / une libation.
  • Il demande d’être hébergé pour la nuit
  1. Seconde série de rites :
  • bain et coucher
  • l’hôte retient le visiteur, lui offre des cadeaux chargés d’histoire
  • il lui propose un repas de départ et d’ultimes libations
  • il lui souhaite bon voyage et offre une escorte jusqu’à sa destination suivante
  • un omen survient (métamorphose, événement météorologique …) et l’hôte ou le maître de maison l’interprètent.

Tiré de The Stranger’s Welcome, de S.Reece

- Pouvoir des dieux : Le récit apparaît beaucoup de leur point de vue. Ils sont tout-puissants, comme la fatalité. Leurs actes peuvent paraître des coïncidences aux yeux les mortels.

- Parole : liée à l’identité. En évolution constante. La manière dont elle s’organise et se diffuse, la construction des personnages par son biais. C’est une épopée de la parole et de l’identité : la (re)découverte et la (re)formation de soi par la confrontation à l’autre. Le discours des personnages occupe autant de place que le récit-cadre => d’où théâtralité.
Le récit cadre est le résultat des rapports entre les personnages, de leurs actes et de leurs paroles (ce que dit Aristote, à propos de la tragédie, dans sa Poétique, sur l’intrigue (qu’il appelle μυθος)). Le récit dans L’Odyssée est donc polyphonique, complexe et contradictoire.

- Olivier : pique qui aveugle Polyphème, l’arbuste sous lequel s’endort U. qd il échoue chez les Phéaciens, le grand arc du concours, lit d’U. et Pénélope … Ce motif contribue à dessiner le portrait en héros d’U. Peut rappeler la massue herculéenne, elle aussi en bois d’olivier.

- Humanité : Rien n’est jamais définitivement acquis et complet, même pour le meilleur.

- Héroïsme : L’Odyssée semble formuler une nouvelle image du parfait héros, fondée sur l’intelligence et la ruse, qui s’oppose à celle de l’Iliade, où l’héroïsme d’Achille se construit autour de la mort jeune du guerrier valeureux. L’héroïsme guerrier d’Ulysse n’apparaît que brièvement, en particulier dans la scène du massacre des prétendants (ch.XXII).

- Tension nature/culture : Thème récurrent qui oppose l’humain et le sauvage, monstrueux, inhumain, chthonien, maritime. Les errances d’U. Sont liées à cette tension, et sa victoire finale signale une reconquête de la culture humaine sur ce qui s’en distingue violemment, de la démesure des prétendants (hybris), à la violence des monstres de tout ordre ou aux multiples tempêtes. Culture souvent représentée par l’hospitalité.

- Tension/communication entre les trois niveaux principaux de l’épopée : infernal, terrestre, divin. Communication : prières, sacrifices, épiphanies, messages divins, prodiges … Et surtout toutes les situations intermédiaires, instables, et les entités hybrides qui les peuplent.

- Oscillation constante entre ces 3 micro-sociétés : fondée sur des systèmes de valeurs variées et cependant comparables. Cette oscillation constante entre le même et l’autre, le semblable et le différent, confère à ce récit, toujours en mouvement, jusqu’à l’extrême fin, son pouvoir de fascination encore actuel.

- Dévoration : Cyclopes, Scylla, Ile du soleil. L’appétit, considéré comme un instinct animal naturel, est incompatible avec la tristesse. Péremptoire, il force les personnages à mettre de côté momentanément leurs afflictions.

- Dialectiques proche/lointain, semblable/différent, central/périphérique : Grèce/au bout de l’Océan, chez Calypso, etc.
1Un aède était un poète qui chantait, en s’accompagnant de la lyre ou de la cithare, ses propres compositions, à la différence du rhapsode qui ne faisait qu’interpréter les œuvres des autres.

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