mercredi 7 mai 2014

Lysias, Sur le meurtre d'Eratosthène

Fiche d'œuvre
*
Υπερ του Ερατοσθενους φονου – Απολογία
Sur le meurtre d’Eratosthène
Lysias


  • Date de parution : Entre - 420 et - 380 ?

  • Genre : Discours/Réquisitoire




  • Éléments biographiques :
- Lysias, né à Athènes en 440, mort vers 380 av. J.-C., est l'un des dix orateurs attiques retenus par le Canon alexandrin.
- Lysias est un métèque (étranger domicilié dans une cité, autre que celle dont il est originaire). Il devient par la suite isotèle, c'est-à-dire étranger privilégié.
- Il est élevé avec les fils de la haute société athénienne puis à quinze ans part à Thourioi rejoindre la colonie nouvellement fondée en Grande Grèce, où il étudie la rhétorique.
- De retour à Athènes suite à l'échec en 412 av. J.-C. de l'expédition athénienne en Sicile, il y exerce le métier de rhéteur et exploite avec son frère Polémarque une fabrique de boucliers. Ils acquièrent ainsi une fortune qui leur attire des ennuis sous la dictature des Trente Tyrans.
- Tous deux sont arrêtés (404 av. J.-C.) comme suspects : Lysias réussit à s'échapper à Mégare mais son frère est mis à mort.
- En 403 av. J.-C., il intente un procès au meurtrier de son frère, Ératosthène, l'un des Trente Tyrans. Cette affaire met en relief son talent d'orateur, et dès lors il se fait logographe1.
- Le discours Contre Ératosthène (l'un des Trente, responsable de la mort de son frère), est le seul qu'il ait prononcé lui-même. Les autres ont été écrits pour des clients, à charge pour eux ensuite de le prononcer, à l'occasion de procès de plus ou moins grande importance : dans l'un d'eux, par exemple (Pour l'invalide), un vieillard plaide pour que l'État lui maintienne sa petite pension d'indigent.


  • Epoque
- 498-448 av. J.-C. : Les guerres médiques opposant les Grecs aux Perses
- 480–430 environ : Pentécontaétie (signifiant « une cinquantaine d'années ») : l'âge d'or de la cité d'Athènes (Périclès, hégémonie d’Athènes sur l'ensemble du monde grec)
- 431-404 : Guerre du Péloponnèse (opposant Athènes avec sa ligue de Délos et Sparte avec sa ligue du Péloponnèse)
- 421 : Paix de Nicias
- 404 : Dictature des Trente Tyrans s’installe à Athènes avec le soutien de Sparte (succèdant à la démocratie athénienne) (sept ou huit mois)
- 404 après la chute des Trente : le régime des Trois Mille à Athènes
- 399 : mort de Socrate
  • But de l’oeuvre
- Lysias écrivit ce plaidoyer pour un client : Un certain Euphilétos met à mort un jeune homme, Ératosthène. Son mariage était stable jusqu’à ce que sa femme soit séduite et le trompe. Avec l’aide d’une servante qu’il a contrainte, Euphilétos surprend sa femme et son amant, et met à mort ce dernier. Mais la famille d’Ératosthène poursuit Euphilétos pour meurtre avec préméditation. La faute d’Euphilétos est d’autant plus grave que la victime aurait été tuée au foyer même de la maison: il y a donc sacrilège.
- On lui attribue 425 discours, dont 233 authentiques, selon Caecilius et Denys d’Halicarnasse. 172 titres nous ont été transmis, tandis que le corpus donné par la tradition manuscrite se limite à 31 discours.
- Il composa un plaidoyer pour Socrate lors de son procès, mais celui-ci refusa de s’en servir.


  • Stratégie de l’écrivain
Le discours doit montrer que la loi permet bien le meurtre commis puisqu’Eratosthène a été pris sur le fait. Le problème c’est que la loi offrait d’autres moyens d’obtenir réparations (comme de l’argent), et que la mise à mort était rare. Si l’on compare la loi sur l’adultère et sur le viol, on constate que la loi est moins sévère en cas de viol, car c’est un acte ponctuel qui permet à la famille de savoir que l'enfant à naître sera un bâtard.
Il doit donc montrer que :
  • Euphilétos n’avait pas le choix: la loi imposait ce meurtre;
  • Euphilétos n’a pas prémédité le meurtre: il avait ce soir-là invité un hôte à dîner; il a eu toutes sortes de difficultés à réunir des témoins. Noter l’importance de la narration qui assume le rôle de preuve par les faits et par l’εἰκός.

L’art de l’εἰκός

Euphilétos correspond à la figure comique traditionnelle du cocu: il se laisse enfermer, et quand les portes claquent, il croit les excuses de sa femme; il est tellement naïf qu’il est incapable d’ourdir un plan contre Ératosthène. Tout va dans le sens d'une création dramatique des personnages par Lysias.
Mais Lysias indique qu’Euphilétos avait quand même un œil sur sa femme pour qu’on ne puisse pas lui reprocher d’être trop permissif et pour qu’il n’apparaisse pas non plus comme un modèle de vertu, ce qui ajoute au réalisme du personnage. Ce n’est donc pas un personnage de comédie: il est capable d’ivrognerie et fricote avec la servante.
En face de ce caractère, les autres n’ont pas de consistance: Ératosthène est habile à séduire (un espèce de gigolo) et représente une menace pour la société car ce sont des hommes comme lui qui sont responsables de l’introduction de bâtards dans les famillles athéniennes.
La femme est une figure beaucoup moins vivante.
Le discours de Lysias est donc persuasif parce qu’il propose une peinture vivante du caractère d’Euphilétos et parce qu’il expose les circonstance du meurtre. Il maîtrise l’art de renverser la situation: il réussit à présenter Euphilétos comme celui qui attaque, et non comme celui qui se défend; il fait de son discours un réquisitoire et non un plaidoyer.



  • Structure
  1. Ch. 1-5 – Προοίμιον ou exorde : triple fonction : 1) instruire l’auditoire (le rendre capable de comprendre), 2) le rendre attentif (insister sur l’importance du procès pour la collectivité), 3) le rendre bienveillant (flatterie, humilité).
  2. Ch. 6-28 – Διήγησις ou narration : trois qualités : 1) brièveté (choisir le pt de départ et le pt d’arrivée), 2) clarté (ordre chronologique, voc. courant), 3) persuasion.
    Dans cette partie, L. passe pour le meilleur orateur car il donne une version des faits toujours dans le souci de l’εικός (vraisemblance) et fait preuve d’une grande spontanéité.
  3. Ch. 29-46 – Πίστεις ou preuves : deux sortes : 1) les άτεχνοι, c.à.d. sans artifice (l’έθος où L. montre que le plaideur est de bonne moralité), 2) les έντεχνοι, c.à.d. les jeux sur le style (le πάθος qui joue sur les émotions de l’auditoire).
    Sur ce point, Denys d’Halicarnasse trouve L. décevant, et Cicéron le trouve réservé.
  4. Ch. 47-50 – Επίλογος ou péroraison : quatre fonctions : 1) se rendre les juges bienveillants, 2) amplifier ou atténuer la gravité des faits, 3) exciter les passions, 4) récapituler.

  • Postérité
En la matière des πίστεις, Denys d’Halicarnasse trouve L. décevant, et Cicéron le trouve réservé.

  • Citations :
« Περὶ πολλοῦ ἂν ποιησαίμην, ὦ ἄνδρες, τὸ τοιούτους ὑμᾶς ἐμοὶ δικαστὰς περὶ τούτου τοῦ πράγματος γενέσθαι, οἷοίπερ ἂν ὑμῖν αὐτοῖς εἴητε τοιαῦτα πεπονθότες: » [1] l’exorde
Je ferai grand cas, messieurs, que vous soyez pour moi les juges, au sujet de cette affaire, que vous seriez pour vous-mêmes si vous aviez subi pareil traitement.


« ἐγὼ γὰρ νῦν καὶ περὶ τοῦ σώματος καὶ περὶ τῶν χρημάτων καὶ περὶ τῶν ἄλλων ἁπάντων κινδυνεύω, ὅτι τοῖς τῆς πόλεως νόμοις ἐπειθόμην. » [50] la péroraison
Et moi, aujourd'hui, c'est aussi bien ma vie (litt : mon corps), que ma fortune et tout le reste que je risque, parce que j'ai obéi aux lois de la cité.


1Désigne les rédacteurs professionnels de discours judiciaires de la Grèce antique.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire