mercredi 7 mai 2014

Virgile, L'Enéide

Fiche d'œuvre
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L'Enéide
Virgile


  • Date de parution : de 29 à 19 av. J.-C.
(La composition de cette œuvre était attendue avec impatience par la sphère politique, et l'auteur fit des lectures publiques des livres II, IV et VI devant la famille impériale en 23 av. J.-C.)

  • Genre : Épopée

Epopées grecques et latines :
- Les œuvres d'Homère : L’Iliade et l'Odyssée
- Les Argonautiques, d'Apollonios de Rhodes, au IIIe siècle avant Jésus-Christ (époque hellénistique)
- Le Bellum Punicum, Naevius, poète épique archaïque du IIe s. av. J.-C.
(- L'Enéide)
- La Pharsale de Lucain (vers + 61) se distingue très originalement de l’Énéide. Rejetant toute idée de merveilleux, Lucain s'attache à dépeindre des événements historiques liés à un passé proche, ceux qui se déroulèrent durant la guerre civile qui opposa Jules César à Pompée, à des fins plus esthétiques que réellement historiques.
- La Punica, Silius Italicus (vers +90)
- La Thébaïade et l'Achilléide, Stace (vers +50)


Epopées européennes de l'époque moderne :
- La Divine Comédie, Dante, 1307-3121 : épopée
- Orlando furioso, Arioste, 1516 : épopée en 46 chants.
- La Franciade, Pierre de Ronsard, 1572 : œuvre inachevée (4 sur 24 prévus), elle devait constiuer l'histoire chantée de la nation française.
- Les Lusiades, Luis de Camoes, 1572 : œuvre destinée à raconter et à glorifier la naissance et le destin de la nation et de l' Empire portugais.
- Jérusalem délivrée, Le Tasse, 1581 : épopée, inspirée d'Homère et de Virgile, surtout pour les parties concernant les combats.
- Les Tragiques, Agrippa d'Aubigné, 1616 : sept chants ou livres racontant les guerres de religions
- Virgile travesti, Paul Scarron, 1648-1653 : parodie de l'Enéide ; chef-d'oeuvre de la littérature burlesque du XVIIe siècle ; inachevé.
- Paradis Lost, John Milton, 1667 : 10 puis 12 parties ; traite de la vision chrétienne de l'origine de l'Homme ; traduit par Chateaubriand lors de son exil en Angleterre (vers 1793).
- Le Lutrin, Nicolas Boileau, 1672-1683 : parodie épique (« poème héroï-comique »)
- La Henriade, Voltaire, 1723 : épopée en 10 chants en l'honneur du roi de France Henri IV et de la tolérance. Surtout destinée à raviver l’identité nationale française et véhiculer les valeurs des Lumières.
- L'Achilléide, Goethe : épopée inachevée
- La Légende des siècles, Victor Hugo, 1859-1883 : D'abord le projet de ces Petites épopées. Un immense ensemble destiné à dépeindre l'histoire et l'évolution de l'humanité.


  • Genèse et sources :
- Une légende sémitique bien connue à l'époque (transmise par l'historien grec Timée (IVe-IIIe av.J.-C.) puis Justin (Histoires Philippiques au Iie ou IIIe siècle après J.-C.) ) :
Pygmalion et Elissa (« divine »), enfants de Mutto, roi phénicien de Tyr, qui à son décès laisse le trône à son fils et donne sa fille en mariage à Sicharbas. Pygmalion le fait assassiner pour obtenir ses trésors, mais Elissa s'enfuit avec eux vers l'Afrique, ses voyages alors lui apportant le nom de Didon (« l'errante »). Une peau de bœuf lui permet de fonder un territoire (« Byrsa » = le cuir). Forcée à choisir ensuite entre la guerre et un second mariage, elle se suicide par fidélité à son premier époux.
- Une tradition italienne ancienne (dont on retrouve la trace chez Naevius-IIe siècle av.) introduit déjà le croisement du mythe de Didon avec la légende d'Enée.
- Apports et modifications de Virgile :
1) le remaniement du personnage de Didon (références à d'autres personnages féminins du patrimoins mythique, en particulier tragique) pour lui donner une épaisseur psychologique inédite. Elle est caractérisée par la beauté (pulcherrima Dido, v.60) et par l'étendue de son malheur (miserrima Dido, v.117) : un portrait à la fois contrasté et déchiré.
2) L'introduction des femmes et de la passion amoureuse dans l'épopée (=> poètes élégiaques)
3) Etablissement d'une filiation mythique entre Troyens et Romains, présentant Enée comme l'ancêtre lointain de la gens Julia (famille de J.César et d'Octave) par son fils Jule.

  • Postérité :
- Le succès de l’Énéide fut immédiat et très large. Elle a donné lieu a des adaptations, des suites et des réécritures en tous genres. Ainsi, on a fait s'adresser Didon à Énée dans une lettre désespérée (Ovide, Héroïdes, lettre VII). Noter vers 1160, le Roman d'Enéas, l’un des premiers romans en français. En 1428, Maffeo Vegio écrit une continuation en hexamètres latins : Aeneidos supplementum (supplément à l’Énéide) ou Aeneidos Liber XIII (13e livre de l’Énéide), très régulièrement inclus dans les éditions de l’Énéide au cours du XVe et du XVIe siècle. Des épopées très nombreuses se sont inspirées de l’œuvre de Virgile, ou au moins se définissent par rapport à elle. Voir la liste d'épopées ci-dessus.
- Dans la littérature latine de l'époque tardive paraissent des œuvres atypiques comme la Psychomachie de Prudence qui inaugurent le genre de l'épopée allégorique. Le poète chrétien s'inspire d'ailleurs du modèle de Virgile, dont il va jusqu'à reprendre des vers entiers.
- L'atmosphère nouvelle apportée par l'introduction du drame passionnel dans la littérature amorce un mouvement qui prendra de l'ampleur avec l'élégie augustéenne (Tibulle, Properce, Ovide).
  • Éléments biographiques :
- Publius Vergilius Maro : Origines gauloises ou étrusques ; 70 à 19 av. Jésus-Christ.
- Bucoliques (genre bas) : imitées des Idylles de Théocrite – Met en scène des bouviers, dans un cadre pastoral, échangeant sur la poésie et l'amour.
- Géorgiques (genre moyen) (37-30 av.) : traité d'agriculture, poésie didactique, éloge de la culture de la terre, rencontre les grandes lignes de la politique augustéenne (restauration de l'unité nationale fondée sur le retour à la terre, retour à la pratique des vertus ancestrales. Comme le laboureur, chacun doit consacrer sa vie au bonheur de la collectivité et à la fructification des ressources de la terre.
- Enéide (genre élevé) : grande œuvre nationale épique, restée inachevée.

  • Contexte historique :
- Oeuvre commencée au lendemain de la bataille d'Actium (-31) : victoire d'Octave sur Antoine.
- La période augustéenne : nouveau régime politique, le principat (-27) = fin de la République et début du Haut-Empire.
Octave => 1) Augustus : héritant d'un pouvoir moral, sacré et religieux ; 2) Imperator : chef des armées ; 3) Princeps : 1er citoyen.
Politique extérieure : consolidation de l'Empire (pacification du climat)
Politique intérieure : restauration des mœurs traditionnelles (contre la désagrégation des familles, la baisse de la natalité dans les familles aristocratiques et l'émancipation des femmes ; pénalisation des divorces par des amendes lourdes ; reconstruction des temples des dieux de la patrie), restauration des valeurs nationales et du patriotisme. Politique culturelle d'encouragement à la création artistique (avec Mécène). C'est un temps de paix retrouvée, l'âge d'or de la litt. latine, point d'aboutissement du classicisme romain : Tite-Live, Virgile et Horace (« chantres » du pouvoir), et la génération suivante des poètes élégiaques, Properce, Tibulle et Ovide (poésie d'amour).
Rome = puissance et maturité ; elle s'interroge donc sur son identité et se tourne vers ses origines, qu'elle s'essaie à reconstruire, notamment en se différenciant de la culture grecque à laquelle elle doit tant. Tite-Live et Virgile célèbrent au même moment la destinée de Rome : l'histoire de T.-L. commence là où s'arrête l'épopée virgilienne. Tous deux sont le reflet des immenses espoirs conçus par les intellectuels du temps à l'avènement d'un nouveau régime.

  • Structure :
Plan de l’œuvre
Chants I – VI : Les voyages d'Enée
I – Circonstances de la rencontre entre les deux héros (réception, banquet (Platon))
II – III – Le récit d'Enée (=analepse) (une soirée)
IV – Amour de Didon
V – Escale en Sicile et jeux funèbres
VI – La descente aux enfers

Chants VII – XII : Les combats (pour fonder une terre nouvelle)
VII – Arrivée dans le Latium
VIII – La guerre se prépare
IX – Premières batailles (sans Enée)
X – XI – La guerre se poursuit
XII – Mort de Turnus et victoire d'Enée

Plan du livre IV
Passion irrésistible [4, 1-172]
* Didon s'abandonne à la passion (4, 1-89)
* Les déesses s'en mêlent (4, 90-128)
* Union des amants dans la grotte (4, 129-172)
Rupture inévitable [4, 173-295]
* La Renommée divulgue la liaison des amants (4, 173-218)
* Mercure rappelle à Énée sa mission (4, 219-295)
Tentative de Didon pour retenir Énée [4, 296-449]
* Premières réactions de Didon (4, 296-330)
* Justifications d'Énée (4, 331-361)
* Invectives de Didon (4, 362-392)
* Attitudes respectives des deux amants (4, 393-449)
Mort secrètement programmée [4, 450-552]
* Didon planifie son suicide (4, 450-521)
* Didon se sent coupable et acculée à la mort (4, 522-552)
Suicide de Didon [4, 553-705]
* Départ précipité d'Énée (4, 553-583)
* Didon maudit Énée et sa race (4, 584-629)
* Le suicide, l'agonie et la délivrance (4, 630-705)

  • Sens et portée de l'œuvre :
- Cette épopée célèbre 1) l'origine de l'Empire romain et 2) les exploits de l'Empereur Auguste (un « nouveau Romulus ») à travers la légende d'Enée. Auguste : restaurateur de la paix après un siècle de guerres civiles et fondateur du principat, ce nouveau régime politique dans le quel les Romains du premier siècle virent une promesse de renaissance pour leur cité. Doté d'une signification politique forte, mythifie l'histoire du peuple romain en l'inscrivant dans la perspective d'une destinée voulue par les dieux et légitime la vocation de Rome à gouverner le monde. Rome = puissance des armes et impérialisme (voir dernière citation).
- Les pérégrinations de Didon dans la légende et d'Enée dans l’œuvre : Mythe du voyage vers l'Ouest, lieu du soleil couchant, la terre de l'au-delà et du bonheur suprême, les îles bienheureuses, derrière les colonnes d'Hercule.


  • Citations :
- Le prologue résume l'argument de l'épopée :
Arma virumque cano, Troiae qui primus ab oris / Italiam, fato profugus, Laviniaque venit /
litora, multum ille et terris iactatus et alto / vi superum saevae memorem Iunonis ob iram; /
multa quoque et bello passus, dum conderet urbem, / inferretque deos Latio, genus unde Latinum, /
Albanique patres, atque altae moenia Romae1.


- Enée reçoit de son père dans les Enfers ce fameux avertissement qui définit l'identité romaine dans la puissance des armes et l'impérialisme :
Tu regere imperio populos, romane, memento/ Hae tibi eunt artes ; pacisque imponere morem /
Parcere subjectis et debellare superbos.2

- Jupiter déclare : Je lui [=à Rome] ai donné un empire sans fin.

  • Thèmes principaux et motifs :
Motifs récurrents dans le genre épique :
  • L'invocation à la muse
  • La descente aux enfers
1« Je chante l'horreur des armes de Mars et le héros qui, des bords de Troie, vint en italie, prédestiné, fugitif, et aux rives de Lavinium ; ayant connu bien des traverses et sur terre et sur l'abîme sous les coups de Ceux d'en haut, à cause de la colère tenace de la cruelle Junon, il souffrit aussi beaucoup par la guerre comme il luttait pour fonder sa ville et installer ses dieux dans le Latium ; d'où la race latine, les Albains nos pères et le smurs de la haute Rome. » (trad. J. Perret)
2« Toi, Romain, soviens-toi de régir les peuples sous ton empire ; tes arts à toi seront d'imposer les conditions de la paix, d'épargner les vaincus et de dompter les superbes. »

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